"J'ai enlevé ma carapace". Le Niçois Hugo Lloris nous présente le livre qui retrace son parcours (2024)

Son record de 145 sélections en équipe de France, Hugo Lloris sait qu’il ne va pas le garder longtemps face à Griezmann ou Mbappé. Mais personne n’enlèvera un titre, une cape ou un moment marquant de l’immense carrière du capitaine historique des Bleus.

A 37 ans, il garde encore les buts de Los Angeles mais regarde pour la première fois concrètement dans le rétro. La plume de Vincent Duluc narre l’autobiographie d’un champion du monde qui se souvient du bon comme du mauvais sans jamais se la raconter.

‘‘Le monde entre les mains’’ est une ode au monde du foot, à sa famille, à sa mère et son grand-père partis trop tôt. C’est aussi le geste du cœur d’un ange gardien avec des bénéfices reversés à la Fondation Lenval et l’association ‘‘Trois petit* pas pour Jade’’ qui œuvre contre une maladie génétique rare et peu connue portant le nom de Syngap1. En visio pendant plus d’une heure, Hugo Lloris se livre pour Nice-Matin.

Pourquoi tu as eu envie d’écrire ce bouquin?
On m’a sollicité plusieurs fois mais j’attendais d’avoir un peu plus de temps pour moi pour m’y plonger. Le faire avec Vincent (Duluc, journaliste de L’Equipe ndlr) m'a donné envie, c’est le premier journaliste avec qui j'ai fait mes entretiensà Lyon, à 21 ans. J'aime sa plume de romancier et sa maîtrise du milieu du football. Le projet permet d'apprécier le chemin parcouru, d’aller à la recherche des émotions, parfois même reparler de choses un petit peu désagréables et d’autres ultra-positives. J’enlève un peu la carapace que j’ai gardée pendant 36 ans.

Ca commence par une douleur, cette finale France-Argentine. Cette séance de tirs au but, tu as pu la revoir?
J’ai revu un résumé des images. Est-ce que c’est pour faire le deuil et passer à autre chose, ou est-ce qu’il y a le côté également professionnel, parce qu’on cherche toujours à améliorer et comprendre pourquoi ça a moins bien marché ? C’est tellement un moment unique que c’est très compliqué de se remettre dans le contexte.

Le livre évoque une finale de Coupe du monde inédite, qu’on ne verra probablement plus. Quelle finale avait marqué le Hugo Lloris enfant?
Le Brésil-Italie de la Coupe du monde 1994, c’est la première finale marquante que j’ai vue en direct.Avec Baggio qui frappeau-dessus dans la séance de tirs au but. A Los Angeles d’ailleurs (sourire).

A cette époque, ton grand-père te prédestinait déjà au plus haut niveau...
Je ne sais pas s’il le disait avec humour mais je me souviens de ces fameux tournois de bridge qu’il faisait avec ma grand-mère à la Colle-sur-Loup. Je faisais mes devoirs puis je me changeais pour partir à l’entraînement. Une fois prêt, il disait à ses amis : « Je vous présente mon petit-fils, le futur gardien de l’équipe de France ». Il avait de grandes convictions et ça l’a rendu encore plus attachant.

''N’oublie pas que c’est toi le patron", une phrase qui résume son exigence?
Il me le répétait sans cesse avant de partir jouer mes matchs en moins de 15 et moins de 17 ans à l’OGC Nice. Il se positionnait souvent derrière le but et commentait tous mes faits et gestes. Il avait vraiment une certaine passion pour le poste de gardien mais il voulait me voir uniquement performer. C’est l’exigence que je pense avoir gardée jusqu’à maintenant. Dès l’âge de 12 ans, ça mettait une certaine pression sur mes épaules, parfois épuisante, mais ça m’a rendu très fort très tôt.

L’OGC Nice, ton club formateur, tu l’as quitté en 2008 pour Lyon. Mais tu racontes que tu aurais pu partir un an plus tôt...
Le club avait eu quelques turbulences provoquées par une mauvaise première partie de saison 2006-07. Avant un match à Lyon, on apprend que Frédéric Antonetti peut être mis de côté pour que José Cobos prenne l’intérim. On fait un super match (1-1) et ça maintient Fred Antonetti, comme Maurice Cohen à la présidence. En fait, ce sera le point de départ de la remontée au classem*nt et on se sauve à 5-6 journées de la fin. Sollicité à l’issue de cette première saison en pro, j’avais besoin de garantie par rapport à cet incident. Le coach ne méritait pas ça et j’avais envie de continuer ma progression avec lui.

"Le Ray, il y avait une âme"

Antonetti, Deschamps et Pochettino sont des coachs précieux pour toi...
J’ai envie de dire que pour aller chercher l’excellence collective, j’ai toujours eu besoin de ressentir autre chose qu’une relation professionnelle. Les relations humaines permettent de se surpasser tous ensemble. C’est là-dedans que j’ai pris le plus de plaisir parce qu’on souffre ensemble, on peut compter les uns sur les autres, et en général, ça nous rend plus forts. Il y a également un échange d’idées. On peut être en désaccord, mais le respect donne de la sérénité et ce rapport aux entraîneurs a été révélateur pour moi.

Sur 447 matchs avec Tottenham, si tu devais n’en retenir qu’un seul?
Le plus facile serait de dire le match retour face à l’Ajax d’Amsterdam en demi-finale de Ligue des Champions. Avec un scénario complètement dingue (mené 2-0, les Spurs l’emportent 3-2 avec un triplé de Lucas ndlr) et cette communion avec les supporters à la Cruyff Arena. Mais j’aimerais bien mentionner le dernier match à White Hart Lane aussi. Symboliquement, historiquement, c’était très fort. On bat United pour clôturer une saison invaincu à domicile avec 16 victoires, 2 nuls, et on finit vice-champion d’Angleterre avec un Chelsea quasiment intouchable qui finit à plus de 90 points. Cette réunion de famille avec les joueurs modernes, les joueurs de l’ancienne génération sur le terrain à la fin du match pour célébrer la fin d’un stade qui allait être détruit quelques jours après. J’ai gardé le maillot de cette der avec la signature de tous mes partenaires. J’ai adoré ce stade, l’un de ceux qui m’ont donné le plus de frissons et d’émotions. Pourtant, ce n’est pas le plus grand.

"Beaucoup d’équipes ont perdu quelque chose en quittant leur stade" dis-tu d’ailleurs dans le livre. Nice aussi en fait partie?
Il y a une différence entre jouer au stade du Ray, une enceinte populaire avec le public proche, et jouer à l’Allianz. Le stade du Ray, on pouvait lui reprocher ce qu’on voulait mais il y avait une âme, une culture, une histoire dans ce stade. Je vais même aller plus loin. Avec Fred Antonetti, on s’entraînait au stade du Ray le mercredi matin pour les repères. Même là, on sentait le poids de l’histoire. Le club va fêter ses 120 ans, voilà ce que ça représente. Il n’y a pas besoin d’aller plus loin. White Hart Lane, c’est la même chose. On avait nos repères et on rentrait sur le terrain sans se demander si on allait gagner, mais plutôt combien de buts on allait mettre.

Ton histoire personnelle, c’est aussi la rencontre de Dominique Baratelli.
C’est également le but du livre, rendre hommage aux rencontres que j’ai pu faire. Doumé en fait partie. J’ai fait deux semaines de détection au Gym, avec une année d’intervalle. La première fois, j’étais gardien de but. J’avais fait une séance spécifique avec Lionel Letizi, une autre avec Dominique Baratelli. Il avait repéré tout de suite quelque chose. L’année suivante, je joue attaquant au Cedac Cimiez, ça s’était très bien passé. Donc mon grand-père m’amène à la détection en tant qu’attaquant. Sauf que Doumé me croise et dit ''Non, non. Tu vas vite te changer. Toi, tu es un gardien de but.'' (sourire) C’est comme ça que j’ai commencé chez les benjamins à l’OGC Nice.

Il te surnommait le ''gardien russe'. Et tu deviendras champion du monde... en Russie!
C’est vrai, je n’y avais pas pensé (sourire). A l’époque, Didier Veschi s’occupait des séances spécifiques pour les jeunes gardiens. Parfois Doumé accompagnait notre groupe de 3-4 portiers. J’étais très fin, voire maigre, je nageais dans ma tenue de gardien de but et j’étais châtain très clair avec une coupe au bol. Baratelli disait: ''Je le connais ce gamin. Il a le style des gardiens soviétiques.' Ça m’avait marqué.

Comme ce massage de Philippe Boulon qui ''t’a entouré de chaleur'' alors que tu devais jouer peu après la disparition de ta maman.
‘‘ Boule’’, c’est le kiné historique de l’OGC Nice. Il faisait attention à tout le monde. Il était très demandeur vis-à-vis des jeunes afin qu’ils prennent vite les bonnes habitudes. Dans la pré-activation, l’étirement, la récupération... Il ne nous lâchait jamais. Mais il avait ce côté chaleureux, ce côté humain. Il a été très présent pour moi sur mes premières années professionnelles à Nice.

"J'ai enlevé ma carapace". Le Niçois Hugo Lloris nous présente le livre qui retrace son parcours (1)

"J'ai connu la sélection quand tu y allais en reculant parce qu'il y avait une pression énorme"

Et Lilian Laslandes, c’est le plus fêtard que tu aies croisé à l’OGC Nice?
Peut-être pas le plus fêtard mais il avait cette réputation. Lilian avait surtout un vrai leadership. C’est quelqu’un qui mérite d’être connu. J’ai eu cette chance au début de ma carrière. Je le voyais comme l’un des meilleurs attaquants du championnat des 10-15 dernières années. Il avait connu l’équipe de France. Il attachait beaucoup d’importance au rapport humain dans un vestiaire, il avait ce côté rassembleur. ça passait par un repas entre coéquipiers, avec parfois quelques petit* excès (sourire). C’est quelque chose que j’ai gardé toute ma carrière. Comme Lilian, Olivier Echoufani et Cyril Rool font partie des anciens qui ont été bienveillants avec moi.

Pour aborder un souvenir moins heureux, comment le Hugo d’aujourd’hui aurait géré Knysna?
Malheureusem*nt, on ne peut pas se remettre dans les mêmes conditions. La seule chose que je peux dire, c’est que ça m’a servi en tant qu’homme et en tant que professionnel. Pas tout le monde n’a su rebondir après cet échec. D’une part, ça m’a rassuré dans mes convictions de comment devait fonctionner une équipe, une institution. Mais j’étais encore jeune et je n’étais pas encore arrivé à un certain niveau de maturité dans ma profession. On est aux antipodes de ce que j’ai retrouvé avec Didier Deschamps et sous la gouvernance de Noël Le Graët.

Tu as souvent repensé à ce passage-là quand tu étais en Bleu?
Non, sauf le jour où j’ai été champion du monde. Tu refais un peu tout l’historique, ton parcours défile dans ta tête et tu te dis que tu es parti quasiment tout en bas pour arriver tout en haut. Steve (Mandanda) était dans le même cas, d’autres joueurs plus jeunes n’ont connu que les bons côtés de la sélection. Nous, on l’a connue quand tu y allais en reculant parce qu’il y avait une pression énorme. Tu ne sentais pas un collectif vraiment fort. C’était plutôt fragile et plutôt tourné vers l’individualisme que sur le collectif. Les choses ont évolué positivement. La fierté de ma retraite internationale, c’est de laisser cette équipe de France encore au sommet.

L’anecdote sympa du bouquin, c’est la photo avec Diego Maradona.
On avait fait une soirée en famille, entre amis entre le troisième match et le huitième de finale de la Coupe du monde au Brésil. En général, c’est là où le coach donne un peu de liberté. On avait passé un super moment ensemble, on ouvre un peu les vannes et on s’échappe le temps de quelques heures avant de se remettre dans la compétition. Puis on croise Diego dans l’hôtel pour une photo qui reste un souvenir incroyable.

Alors que tu l’avais croisé quelques minutes plus tôt tout seul devant l’ascenseur et que tu n’avais pas osé le saluer...
Carrément! Je pensais qu’il ne me connaissait pas. Alors que non, il me connaissait très bien (sourire). Ce sont des moments très rares dans une vie que de rencontrer des légendes comme Diego Maradona. Il se passe beaucoup de choses lorsqu’on se serre la main, lorsqu’on a une petite discussion ou même le temps d’une photo. Même si ce n’est pas de ma génération, on le voit tout en haut. Ça inhibe. On est presque intimidé. On se sent tout petit.

En fin de bouquin, tu imagines l’après-carrière de footballeur. La réflexion semble plutôt t’orienter vers un rôle de dirigeant plutôt qu’entraîneur.
(Il rit) Je ne ferme aucune porte. Je pense que quand j’aurai choisi ma voie, j’irai à fond. Mais il y a toujours ce rapport où j’attache beaucoup d’importance à ma famille. On le sent dans le bouquin. Mes choix seront également en lien avec ce que je ressens, parce que j’ai envie également de passer du temps avec mon épouse et de continuer à accompagner mes enfants dans leur éducation, dans les différentes phases de leur vie. J’aimerais également avoir ce temps, parce qu’il est précieux. En parallèle, j’espère trouver la meilleure chose pour moi. Je ne suis pas inquiet. Au contraire, je prends ça avec beaucoup d’enthousiasme, c’est excitant. Le foot représente beaucoup dans ma vie, mais il y a également plein de choses à développer.

A Nice?
J’ai toujours été très attaché à mon territoire, à ma région, à Nice. J’ai beaucoup investi dans différents secteurs, dans le numérique, le tourisme, la restauration, l’immobilier... Ce sont mes racines, j’y suis très attaché comme je le suis également à l’OGC Nice. Je n’ai pas encore d’idée précise de ce que je veux faire parce que je suis encore concentré sur cette fin de carrière, j’ai envie de profiter au maximum. Mais effectivement, après autant d’années passées dans le football, tu as une certaine expertise et peut-être que tu as cette volonté de la partager. Comme je l’ai fait en sélection, à Tottenham sur la fin, et aujourd’hui à Los Angeles, où il y a ce rapport de transmission avec les jeunes. Ici, ils sont très à l’écoute, très demandeurs par rapport à ce qu’il se passe en Europe, dans les grands clubs ou une grande sélection comme l’équipe de France. Et ça, c’est plutôt plaisant.

‘‘Le monde entre les mains’’, éditions Stock, 20,90 euros.

"Bulka, le meilleur gardien de Ligue 1"

Ton regard sur l’actuel portier du Gym, Marcin Bulka?
Je suis très déçu pour lui qu’il n’ait pas été élu meilleur gardien du championnat. A mes yeux, il a fait ce qu’il fallait pour l’être. Il ne faut rien enlever à Donnarumma. Mais s’il finit européen, c’est parce qu’il fait partie de la meilleure défense du championnat et qu’il a excellé cette saison. Il y a eu une période un peu plus délicate, mais sa première partie de saison est incroyable et il rapporte des points importants en fin de championnat. Je l’aimais déjà beaucoup avant qu’il soit titulaire, je savais que son heure arriverait. Je suis très content qu’il ait eu cette patience, qu’il ait pris le dessus. Et qu’il soit récompensé cette année par cette superbe saison. Ça fait plaisir.

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